
Durant les 20 années du règne de Bouteflika, l’Algérie a traversé l’une de ses plus graves crises morales et structurelles depuis son indépendance. Une période qui aura duré vingt longues années, dominées par un système de prédation mis en place par quelques oligarques, politiciens et militaires ayant réussi à constituer un véritable gang spécialisé dans le détournement sans précédent des richesses nationales.
En l’absence d’un véritable contrepoids institutionnel propres aux grandes démocraties, qui échoit normalement aux représentants du peuple et à une justice indépendante, le contrôle de la politique de la Présidence et de l’action du Gouvernement n’a jamais eu lieu.
Cela a mené, en plus d’une profonde crise de confiance populaire installée pour durer, à la perte de centaines de Milliards de Dollars dont les désastreuses répercussions sur l’économie du Pays ne disparaîtront pas de sitôt, sans un véritable projet de société et une profonde refonte des lois de la République.
Intéressée ou pas, l’Armée Nationale Populaire dont tout le monde sait que là n’était pas le rôle principal, a réussi à mettre »momentanément » un frein à la dérive mafieuse d’une classe dirigeante corrompue, dont il faut dire que la grande partie des représentants a été déférée devant les juridictions civiles nationales et bien souvent condamnée à de lourdes peines. Oui, momentanément, car rien n’a été réellement entrepris pour que cette situation ne puisse plus jamais se reproduire à cette échelle et dans ces conditions.
Certes, nous assistons depuis quelques semaines malgré un contexte rendu difficile par la baisse drastique des revenus pétroliers et une crise sanitaire inédite, à de réelles tentatives émanant de l’exécutif (Loi de finances complémentaires, révision de la constitution…) dans le but de redresser la grave situation dans laquelle a été entraînée l’Algérie.
Même si parfois perçues de maladroites par nombre d’entre nous, il faut se rendre à l’évidence, ces mesures ne peuvent l’être, nous l’espérons, qu’à cause de la faible marge de manœuvre laissée aux dirigeants du Pays, dont le seul souci est de remettre l’Algérie sur la voie souhaitée du modernisme, de la démocratie et de l’égalité des chances. Nous l’espérons tous !
Pourtant, plusieurs questions restent en suspens quand il s’agit d’évoquer l’avenir des centaines de hauts fonctionnaires, militaires, hommes d’affaires et cadres de l’administration, dont quelques-uns ont d’ailleurs été récemment libérés des prisons algériennes…
Qu’en est-il de la réhabilitation de tous ceux qui se seront rendus en partie coupables de ce que traverse l’Algérie ?
Et comment accepter, après leur surprenante mise en liberté, qu’un Rebrab ou un Benhamadi, pour ne citer qu’eux, puissent à nouveau gérer leurs groupes alors même qu’ils ont triché, corrompus ou trompé le fisc et le trésor algérien ?
Les peines de prison prononcées à leur encontre et rendues au nom du peuple algérien sont-elles suffisantes pour tout oublier, alors que l’Algérie n’a toujours pas recouvré tout l’argent détourné ou illégalement transféré à l’étranger ?
Ces questions lancinantes continueront d’alimenter la suspicion de tout le peuple algérien envers sa classe dirigeante quelle que soit son action, et ce tant que de claires réponses et de fermes mesures ne seront pas venues rassurer les interrogations de ceux professant des slogans hostiles au pouvoir durant les manifestations du Hirak… Et ce n’est pas les solutions qui manquent. Exemples !
Les fautes de gestion, les fraudes commises, ou l’incompétence de ces dirigeants sociaux aurait dû pousser les tribunaux algériens à leur signifier une interdiction de gestion pour une durée minimale de 20 ans eux qui ont violé non seulement les principes élémentaires des règles morales ou des lois de la République, mais auront précipité des milliers de travailleurs à un chômage forcé…
Il nous parait évident qu’au vu de tous les préjudices dont ils ont été les auteurs, il ne devrait plus être question que ces personnes puissent exercer une quelconque profession ou activité commerciale.
La législation pourrait être renforcée pour ceux qui seraient tentés de violer »l’interdiction de gérer » en condamnant les contrevenants par exemple à de lourdes peines d’emprisonnement et d’une amende dissuasive qui devrait dépasser par exemple les 300 Millions de Dinars.
Autre piste concernant leurs entreprises, si elles étaient maintenues, elles devraient nécessiter en principe une décision d’exclusion des marchés publics, soit à titre définitif ou pour une durée minimale de dix (10) ans, en cas de condamnation pour crime ou pour délit.
Il faut savoir que les lois algériennes prévoient déjà des mesures similaires, telle la dégradation civique qui consiste dans la destitution et l’exclusion des condamnés de toutes fonctions publiques et de tous emplois ou offices publics.
Notre justice devrait en ce sens s’adapter aux nouvelles réalités algériennes et appliquer le principe de déchéances de gestion.
Nos magistrats pourraient courageusement s’inspirer des tribunaux étrangers qui prononcent dans pareils cas »l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci pour avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif ; Avoir fait des actes de commerce dans un intérêt autre que celui de l’activité commerciale ; Avoir fait des biens ou du crédit de l’entreprise visée par la procédure un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles du dirigeant ou pour favoriser une personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement »
Cela répond exactement à toutes ces entreprises écrans créés par la plupart des oligarques et hauts fonctionnaires de l’Etat dans le seul but de s’offrir des opportunités de surfacturations et tous types d’infractions à la loi sur la monnaie et le crédit.
Le tribunal pourrait enjoindre à ces dirigeants ou à certains d’entre eux, de céder leurs actions ou parts sociales dans la personne morale et même ordonner leur cession forcée après expertise. Cela aiderait dans certains cas à sauvegarder les emplois et permettre à l’Etat d’obtenir un statut d’actionnaire et donc jouir d’un droit de regard sur la gestion de ces entités.
Un fichier national automatisé des »interdits de gérer » pourrait également être tenu par le Ministère du Commerce et de la Justice accessible aux seuls greffiers et magistrats statuant en matière commerciale, les représentants de l’administration et d’organismes investis d’une mission de lutte contre les fraudes, ainsi que les personnels des chambres de commerce, de métiers, de l’artisanat et du registre du Commerce.
Enfin, il nous parait évident qu’au titre des peine complémentaires pour un crime ou un délit commis par les personnes faisant partie de la Issaba et ayant occupés des hautes fonctions au sein de l’Etat, qu’il leur soit opposé l’interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité sociale. Et pourquoi pas une déchéance de leurs droits civiques sans prescription possible.
La déchéance civique concernerait bien évidemment en plus du droit de vote, l’éligibilité, le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice, le droit de témoigner en justice, et l’interdiction d’exercer une fonction publique…
Voilà quelques humbles propositions dont les portées sont multiples, sur le plan social dans le but de rétablir le capital confiance en ce gouvernement, sur le plan moral pour enfin asseoir des règles à même d’assainir certaines pratiques commerciales et opérations financières, et enfin sur le plan judiciaire pour que plus jamais d’autres puissent penser l’illégalité possible sans avoir à rembourser le fruit de leur rapine et payer de leur liberté.
Bachir Outaghani Photo: RYAD KRAMDI / AFP
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