Décryptage. Huawei dans la tourmente, Sonatrach est-elle en danger?

Pour nombre d’observateurs la rivalité géopolitique américano-chinoise est à son paroxysme suite à l’arrestation, en début du mois de Décembre 2018, du Directeur Financier de Huawei, Meng Wanzhou au Canada. Les accusations portées contre le géant chinois des télécommunications, pour avoir enfreint les sanctions américaines contre l’Iran, mettent en lumière la course croissante à la technologie et la guerre froide hybride entre les deux superpuissances du monde.

Meng, qui est également la fille du fondateur de Huawei Ren Zhengfei, est accusée par l’administration américaine d’avoir utilisé Skycom, une filiale de Huawei basée à Hong Kong, pour échapper aux sanctions américaines contre l’Iran entre 2009 et 2014.

Les Etats-Unis, ont sans doute voulu provoquer le pouvoir chinois dans leur bras de fer commercial, toutefois ils mettent en avant leur sécurité nationale, mais également celle de tous les pays et entreprises qui seraient en partenariat avec le géant chinois Huawei, contre de probables ‘’actes d’espionnage’’ dans le secteur des technologies.

A terme, toutes les entités liées à Huawei devront réévaluer le risque en prenant en compte la possibilité de mesures politiques telles que les contrôles à l’exportation, les sanctions, les acquisitions et les transferts de technologie bloqués, au détriment du groupe Huawei, et d’ores et déjà penser à minimiser les dommages résultant de ses sanctions probables.

Huawei a déclaré ne pas avoir eu connaissance d’actes répréhensibles de Mme Meng, ajoutant : « La société est convaincue que les systèmes juridiques canadien et américain aboutiront à une conclusion juste. Huawei respecte toutes les lois et tous les règlements en vigueur, y compris les lois et règlements de contrôle des exportations et de sanctions des Nations Unies, des États-Unis et de l’UE.  »

Derrière cette actualité outrageusement médiatisée, se jouent des enjeux économiques stratégiques centrés sur les craintes des agences de renseignement occidentales et sur la menace importante que représenterait la Chine et Huawei pour l’économie et la sécurité mondiale.

Pourquoi craindre la Chine ?

La Chine a adopté le plan de développement ‘’Made in China 2025’’ qui vise à développer une stratégie les menant à être leader mondial dans les domaines de l’Intelligence Artificielle (IA), de la robotique, de l’aérospatiale et bien d’autres Industries.

Pour cela la Chine se doit de gagner la bataille mondiale autour de la technologie qui fournit une connectivité ultra-rapide et une meilleure bande passante dans l’Internet des objets (IOT), que toutes les entreprises de télécommunication sont sur le point de déployer et qui consiste en la prochaine génération de sans-fil cellulaire : la 5G !

En plus d’accélérer les transferts de données, les réseaux 5G permettront aux voitures autonomes de communiquer entre elles et de communiquer sur des sujets tels que les feux de circulation intelligents, comme ils connecteront et contrôleront un grand nombre de robots dans les usines et autres secteurs digitalisés.

Les armées les utiliseront également pour toutes sortes d’applications et cela augmentera considérablement le nombre de périphériques connectés avec le risque de voir le chaos s’installer si les réseaux qui les prennent en charge sont piratés.

Le US Departement of Defense, qui est l’équivalent du Ministère de la Défense, avait informé le congrès américain, dans un rapport de 145 pages émis en 2018 à consulter ici, que Pékin s’intéressait de plus en plus à ce qu’on appelle la « fusion civilo-militaire » et très récemment, une série de fonds de capital-risque financés par l’État ont réuni des startups technologiques et d’autres sociétés privées avec l’Armée de libération du peuple.

A titre d’exemple, le Fonds des industries d’innovation civilo-militaire de Foshan a été lancé à hauteur de 28,75 milliards de dollars en Septembre 2017.

La loi américaine sur le contrôle des exportations risque de voir s’élargir la liste des contrôles à l’exportation d’un large éventail de technologies à des fins commerciales et militaires qui touchera les secteurs de : la robotique, l’IA, les véhicules autonomes et même la technologie de reconnaissance faciale.

Les effets pourraient être généralisés, avec des dommages collatéraux aux entreprises étrangères chinoises dépendantes de la technologie de semi-conducteurs américaine pour ses composants tels que les micropuces et les logiciels du système d’exploitation Android… dont la plus grande partie provient de cinq fabricants américains : AMD, Intel, Micron, Nvidia et Qualcomm.

Pourquoi craindre Huawei ?

Huawei est le parfait représentant de l’entreprise dynamique du secteur de la technologie en Chine. D’un petit fabricant de centraux téléphoniques, le groupe s’est considérablement développé ces dernières années pour devenir un leader mondial du secteur des technologies.

Avec des revenus dépassant les 90 Milliards de Dollars en 2017, le géant des télécoms chinois est connu de beaucoup pour ses combinés de téléphonie mobile ayant délogé Apple de sa position N° 2 des combinés expédiés dans le monde, mais également pour être à la pointe des services cloud, de la technologie 5G et de l’intelligence artificielle…

L’entreprise chinoise compte quelque 180 000 salariés, et sa position dans les télécoms est stratégique. Huawei est la seule entreprise mondiale à maîtriser toute la chaîne des télécoms, y compris les serveurs cœurs de réseau qui constituent les nœuds de l’Internet mondial.

Huawei se présente pourtant comme une entreprise privée appartenant à ses employés, sans aucun lien avec le gouvernement chinois, mais les critiques soulignent que son fondateur, Ren Zhengfei, était un ancien ingénieur des services de renseignements de  l’armée du pays qui a rejoint le parti communiste en 1978.

« Il est de pratique en Chine que les relations entre les entreprises chinoises et l’État doivent être extrêmement étroites », a déclaré le professeur Anthony Glees, directeur du Centre d’études de la sécurité et du renseignement de l’Université de Buckingham.

Dans sa défense, Huawei peut souligner le fait qu’aucun chercheur en sécurité n’a trouvé de porte dérobée dans ses produits.

C’est vrai, mais cela ne changera certainement pas le point de vue des États-Unis, qui redoublent d’efforts pour persuader leurs alliés de maintenir Huawei hors de tous leurs réseaux.

Le réseau Five Eyes, constitué du Canada, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, qui coopèrent pour lutter contre l’espionnage, le terrorisme et la criminalité dans le monde ont pointé du doigt le géant chinois de la haute technologie Huawei comme étant un risque pour la sécurité nationale.

Stéphane Richard, PDG d’Orange, a déclaré à la presse à Paris que les préoccupations en matière de sécurité concernant Huawei étaient légitimes.

« Deutsche Telekom prend très au sérieux la discussion mondiale sur les équipements de réseau de sécurité des fournisseurs chinois. »

Il y a une semaine, BT Group, l’un des principaux opérateurs télécoms du Royaume-Uni, a annoncé qu’il supprimait les équipements 5G Huawei de son réseau, une décision prise après Alex Younger, responsable des services secrets britanniques.

SK Telecom, le plus grand groupe de télécommunications sud-coréen, a également annoncé qu’il ne permettrait pas à Huawei d’être le candidat préféré pour la technologie 5G.

Un alignement à la politique US adopté par l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon et dernièrement par la Tchéquie. « Les lois chinoises imposent notamment aux sociétés privées résidant en Chine de coopérer avec les services de renseignement. Par conséquent, leur introduction dans les systèmes étatiques clés pourrait constituer une menace » a déclaré le directeur de l’agence nationale de la sécurité de l’information et de la sécurité de la République tchèque (NCISA), Dušan Navrátil.

La réponse de Huawei ne s’est pas faite attendre, l’entreprise de l’Empire du Milieu a récemment annoncé un investissement de deux milliards de dollars sur cinq ans dans la sécurité afin de rassurer ses clients.

L’opération séduction du géant chinois semble bien fonctionner en Algérie

C’est dans cet environnement mondial de suspicion d’espionnage que l’Entreprise Sonatrach a, selon nos informations, confié à son homologue chinois la China National Petroleum Corp (CNPC) et à l’équipementier télécom Huawei le projet informatique d’implémentation d’un nouveau progiciel de gestion intégrée, ou Enterprise Resource Planning (ERP).

Sonatrach avait attribué en Novembre 2016 à la CNPC un contrat de 420 millions de dollars portant sur la rénovation de la raffinerie d’Alger, suite à la signature d’un des accords cadre, ‘‘Memorandum Of Understanding (MOU)’’ avec la CNPC visant le développement du partenariat dans l’ensemble de la chaine hydrocarbures ainsi que dans les services pétroliers, avec d’importantes perspectives d’investissement conjoint et de coopération.

Selon les mêmes sources, une partie du contrat qui aurait été attribué le 6 novembre 2018, deux jours à peine après le renforcement des sanctions « secondaires » imposées par les États-Unis à toutes parties tierces ayant des liens commerciaux avec l’Iran, portait sur la fourniture de services de télécommunication par Huawei à Sonatrach !

‘’Pour un montant de 100 millions Huawei va installer l’ERP qui va permettre de gérer les finances, la production, la commercialisation, la comptabilité… autant dire toutes les informations sensibles de la première entreprise africaine.’’ Nous apprendra un cadre de la Sonatrach.

Le PDG de Sonatrach Abdelmoumen Ould Kaddour a-t-il évalué le risque que comporte une telle action ?

Rappelons que la justice algérienne avait ouvert un dossier concernant des contrats litigieux et des transactions douteuses (en matière de télécommunications et d’internet) au milieu des années 2000 conclues par Algérie Télécom et deux sociétés chinoises ZTE et Huawei. A la suite de ce procès, les deux géants chinois avaient été exclus des marchés publics algériens jusqu’à juin 2014.

Mais cela ne semble pas avoir freiné les appétits de Huawei et son Directeur Général Algérie, Mr GAO. Huawei continue de profiter de juteux marchés en Algérie tels celui de la réalisation et la mise en service d’un Data Center au profit de la Direction Générale des Douanes pour un montant estimé à 3.34 millions de dollars et 90.99 millions de dinars…

Le risque étant trop réel pour être ignoré, un dispositif de veille et d’action contre d’éventuelles ingérences devraient être mis en place.

Le gouvernement algérien, à travers ses services spécialisés, devrait s’impliquer dans la protection des données et des informations liées à son économie en bloquant certains investissements sensibles même si aucun fait d’espionnage n’a pu être encore imputé à Huawei.

Djazair Djazai

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